Quand on leur fait remarquer qu’elles se gavent un peu, les grandes surfaces répondent “promotions” et emploi. Encore raté.
La semaine dernière, Antenne Réunion organisait un débat fort intéressant entre les acteurs de la grande distribution et l’auteur de l’étude sur les marges (le lien est ici, faut quand même aimer la pub).
On le comprend, Philippe Maillard, président de la Fédération du commerce, avait l’air un peu remonté. Il a donc essayé de se défendre, notamment, en ce qui concerne les marges : pour lui, les marges – aux environs de 25% en moyenne – ne seraient pas si élevées. Il n’a pas tort… à condition de ne pas faire de maths. Car, dans le calcul des marges, on parle ici de moyenne ; or, certains produits sont quasi systématiquement en promotion, avec donc, une marge moindre, ce qui fait sensiblement baisser la moyenne. C’est donc trompeur.
Mais après tout, si les promos étaient appliquées sur tous les produits du chariot des Réunionnais… Sauf que ce n’est pas le cas. Comme le pointe le rapport : “Par ailleurs malgré le recours massif aux promotions et les postures de guerre des prix affichées par les acteurs, force est de constater que si cette guerre des prix est bien une réalité, elle est aussi clairement en trompe l’œil dès lors qu’elle n’intervient en réalité que sur une part visible certes, mais très minoritaire des ventes des distributeurs et donc du panier d’achat des consommateurs réunionnais.” Il y a pire : ces promotions interviennent en général toujours sur des produits d’appel, et là, ça devient fourbe. On explique.
Coca et Soupline, produits d’appel.
Ouvrez n’importe quel prospectus publicitaire, et ce, sur une période longue : vous verrez toujours les mêmes produits mis en avant dans les pages, et en promotion. La bouteille de Coca, le rhum Charrette, la Soupline, le kilo de saucisses premier prix… Ce sont des produits d’appel : c’est-à-dire que les grandes surfaces ont remarqué que, quoique le consommateur achète dans le reste de son chariot, il aura toujours ces produits-là. La guerre que se livrent les distributeurs est donc ici : il faut casser les prix de ces produits, sans quoi le consommateur ne viendra pas chez vous acheter d’autres choses… qui, elles, voient leur marges exploser. Le rapport ne dit pas autre chose : “Seuls certains produits à fort volume ou notoriété sont visés par ces promotions comme produits d’appel et en particulier certains produits de la production locale, afin d’augmenter la fréquentation des magasins pour l’achat du panier de courses courantes, dont la plupart des produits composant ne font l’objet d’aucune promotion, avec de surcroit des prix de fond de rayon excessifs et sur lesquels aucune guerre des prix n’est livrée.” Vous n’allez plus regarder vos prospectus de la même manière…
Le problème de ces promotions est tel qu’il impacte jusqu’aux commerces de proximité. Ceux-ci, au vu des volumes vendus, n’ont évidemment pas la marge de négociation des grandes surfaces. Elle achète donc ses bouteilles de Coca, par exemple, à un grossiste, à un prix plus élevé que Auchan, ou Jumbo le font auprès de leurs centrales. Mais comme ces derniers cassent leurs prix afin d’attirer les clients chez eux sur ces bouteilles de Coca, le gérant de la boutique du coin a meilleur compte d’acheter son Coca non pas à son grossiste, mais directement au supermarché du coin ! Vous les avez sûrement vus, ces chariots remplis de Capri Sun, au Jumbo, non ? Eh bien il allaient certainement être revendus dans un camion-bar… On se retrouve donc dans un système où les petits commerçants, au lieu d’essayer de faire concurrence aux gros, deviennent à la place leurs clients. On marche sur la tête.
La question de l’emploi, une bonne blague.
Un autre argument souvent évoqué par les acteurs des grandes surfaces pour justifier leur désir de “prix bas” est la concurrence entre elles. Or, là encore, le débat est plus compliqué. On remarque en effet que, si en effet plusieurs vendeurs existent à La Réunion, ils se font bien peu de concurrence. Il faut réfléchir par “bassin”. Dans le bassin de Saint-Paul, par exemple (Le Port, La Possession, Saint-Paul, Trois-Bassins), il n’existe que trois hypermarchés… trois Jumbo Score. Dans le Nord ? Jumbo, Leclerc et Carrefour se partagent le gâteau en périphérie, mais avec un réseau de supérettes urbain supérieur, Score remporte la timbale. Et encore : Leader Price n’est pas vraiment un concurrent, puisqu’il partage la même centrale d’achat que Score, celle de Casino. Il n’y a bien qu’aux environs de Saint-Pierre où la concurrence marche à plein, avec les quatre grandes enseignes qui se font quasi face.
Parmi les arguments évoqués par Philippe Maillard en faveur de la grande distrib’, il y en a un, qu’on peut entendre : “Je rappelle qu’on a 6500 salariés qui travaillent, 6500 familles qui travaillent dans la distribution réunionnaise organisée.” Or, le rapport se conclut par l’évocation d’un modèle de coopératives entre petits commerçants afin de concurrencer les grandes surfaces. On apprend alors que diminuer leur nombre ne serait pas une catastrophe en termes d’emplois : une meilleure structuration du commerce de proximité pourrait aboutir à la création de 450 à 800 emplois dans dix ans. Pendant ce temps, les grandes surfaces auront bien évidemment trouvé un moyen de s’en sortir, ne nous inquiétons pas pour eux.
Loïc Chaux