Un jour qu’il est là, Emmanuel Macron, et sa visite ressemble déjà à une partie géante de Kamoulox. Les mots nous manquent, devant un spectacle aussi dingue.
On n’a pas de grandes carrières de journalistes, au Tangue, mais la visite d’Emmanuel Macron dépasse, et de loin, tout ce à quoi on a déjà eu affaire en plusieurs années de taf’ à La Réunion. Ce voyage, pour l’instant, est du grand n’importe quoi. Et on y participe tous à notre niveau.
Il y eut, d’abord, ce gazage en règle par les gendarmes, hier, aux environs de Gillot, de Réunionnais pacifiques. Le président, lui, serrait des paluches à des élus fayots, avant de s’engouffrer dans sa bagnole, empruntant des rues nettoyées des pauvres cons demandant simplement à exprimer une certaine déception. Direction un obscur “forum” d’on-ne-sait-pas-trop quoi, réunissant des patrons tout heureux de se faire entendre dire qu’ils ne branlent rien et qu’ils devraient se sortir les doigts s’ils veulent trouver des marchés avec les pays de la zone. Le tout enrobé de conneries franglaises, le “Choose” machin, le “hub” bidule, de la com’ pour cacher un vide intersidéral de propositions. Du Yaka, Fokon dans une séquence dont on n’a pas vraiment compris la finalité. Ah, oui, parce que maintenant, faut parler de “séquence“, on ne fait plus des “étapes“, dans les voyages, ni des “haltes“, on n’évoque plus des “sujets“, on parle en “séquences“. Juste avant, dans une “séquence Monument aux morts“, il avait posé des fleurs, devant deux ou trois clampins venus braver la pluie ; qu’on ne nous parle pas de “bains de foule“, y avait personne. Selon nos informations, entre le Monument aux morts et le forum éco, il y a eu une “séquence caca” ainsi qu’une “séquence Candy Crush“. Si ça se trouve, les deux en même temps.
Ce matin, Le Tangue est allé faire un tour au défilé de l’intersyndicale, à Saint-Denis. Alors que les manifs , depuis toujours, partent du Jardin de l’État pour arriver à la Préfecture, l’État avait choisi de dévier tout le monde vers la rue Pasteur. Vous voyez venir l’embrouille ? Au croisement, les gentils syndicalistes parlementent avec les flics barrant la route, ça dure une demie-heure. Finalement, le défilé a droit d’aller jusqu’au Monument aux morts. Dans le micro, ça gueule “On a gagné !” À côté de votre bête à piquants, un manifestant est consterné… “Putain, mais on a gagné quoi ?” Cent mètres, mec !
Qu’ils s’en aillent tous, vite.
Au même moment, le Macron n’est pas à la Préfecture. Les “motifs de sécurité” invoqués par la police pour justifier le détournement sont donc bien une farce. Il est où ? Il est parti faire une balade surprise aux Camélias avec un ex-taulard, le maire de Saint-Denis, entourés de gardes du corps et de membres de son cabinet. Y en a un, énorme, François-Xavier Lauch, ancien supérieur de Benalla, qui lui souffle qu’au même moment, il y a trois cents manifestants rue de Paris. Macron répond alors à Antenne : “Regardez combien il y a de manifestants ! C’est pas une grève générale ! Il y a combien de manifestants ? 300 !” Au plus fort du défilé, ils étaient bien plus, mais quitte à prendre les gens pour des cons, autant ajouter une petite dose de condescendance, ça fera l’affaire.
Aux Camelias, il risquait pas grand-chose, Macron : il a discuté avec des petites vieilles, et les jeunes interlocuteurs étaient triés sur le volet, il fallait passer la barrière des malabars en costume. Marrant : alors que la presse avait été prévenue de ce changement de programme, le Jir avait été “oublié“. Paraît que la “une” “Pour l’instant, que du vent“, est mal passée auprès des services de l’État. C’est sûr que l’édito du Quotidien (“Un catalogue d’ambitions déroulé avec brio par un chef de l’État dont l’énergie positive était communicative“) a eu meilleure presse.
En une journée, le nord de l’Île est devenu un merdier anxiogène, où plus personne va bosser, où les rues sont occupées par des hommes en armes. Imaginez deux secondes si pareil blocage avait été dû à des “Gilets jaunes”… Non, là, c’est des bidasses en armures à la nuque raide, donc ça doit aller.
Le Président est encore là pour quelques heures. Qu’il parte vite. Qu’ils partent, aussi, ces camions de militaires. Qu’ils partent, ces soldats qui vous empêchent de circuler – même à pied ! – pour rentrer chez vous. Qu’ils partent, les ministres venus faire les pots de fleurs. Qu’ils s’en aillent tous, vite.
Il y a pire que la pauvreté, le chomâge, le manque de perspective dans lesquels La Réunion se débat : il y a la réponse proposée par le chef de l’État aux Réunionnais. Elle se résume en un mot : mépris.
La rédaction du Tangue