Paie ton chef d’œuvre

Piments Zoizos, le dernier livre de Téhem, est voué à devenir une œuvre de référence de la littérature réunionnaise, tant par le sujet qu’il traite que par la qualité de son écriture.

 

Ça fait quinze ans qu’on vous offre La grippe Coloniale en cadeau d’anniversaire ? Rassurez-vous : ça va changer. En s’attaquant au sujet des “enfants de la Creuse”, Téhem vient peut-être de nous pondre un nouveau chef d’œuvre, sur un épisode marquant de l’histoire réunionnaise récente.

Le Tangue n’a pas pour habitude de lécher des bottes. Mais là, on doit bien s’incliner : Piments Zoizos, c’est beau, bordel. Et Téhem, c’est un tout bon. Pour l’analyse fine de cette BD, on vous laisse lire le papier de Bongou. Nous, on n’est pas spécialistes.

Là où le bédéiste fait fort, c’est qu’il évite ce travers classique, lorsqu’on évoque le sujet des “Enfants de la Creuse” : le tragique, les larmes, le misérabilisme. En choisissant de travailler avec un historien, Gilles Gauvin, Téhem livre des informations, qu’on a rarement lues ailleurs. Par exemple, une étude de 2015 sur un échantillon de “déplacés” a montré qu’en moyenne, leurs revenus étaient supérieurs à la moyenne des Réunionnais vivant sur l’Île. Cela ne veut pas dire que ces envois d’enfants dans l’Hexagone est une réussite, et le récit le prouve. Cela illustre, surtout, les propos de Gauvin au début du livre : “Dans toutes les fictions que j’ai pu lire jusqu’à aujourd’hui, on s’est focalisé avant, et c’est normal, sur l’émotion que suscite le destin tragique de certains mineurs. Mais faire une critique historique, c’est prendre du recul pour analyser. Et expliquer n’est pas excuser.” Les pages pleines d’infos placées au milieu du récit, qui donnent des faits sourcés et chiffrés sur cet épisode douloureux sont une mine d’or.

L’histoire suit Michel qui, dans les années soixante, est retiré de sa famille puis envoyé en France. On le retrouve, aussi, cinquante ans plus tard, à La Réunion, à la recherche de ses racines. On comprend, à la fin, pourquoi sa maman avait accepté que ses enfants lui soient retirés ; si vous pleurez devant la fin de Forrest Gump, préparez quand même un mouchoir pour lire les dernières pages. Tout l’épisode des “Enfants de la creuse” y est résumé en quelques cases, et c’est un morceau de bravoure.

On y croise aussi, et c’est ce qui nous a le plus passionné, beaucoup de fonctionnaires chargés de faire tourner la machine envoyant des Réunionnais en Métropole. On y voit Michel Debré, demandant toujours plus d’envois de marmailles et de travailleurs dans les campagnes françaises et des employés de la Préfecture persuadés du bien-fondé de leur action. Ces gens-là n’étaient pas foncièrement mauvais : convaincus que déraciner ces enfants réunionnais leur offrirait un avenir meilleur que ce que pouvait alors leur proposer l’Île, ils appliquaient des circulaires, et c’est tout. Debré réclamait toujours plus de gamins ? Ils en trouvaient toujours plus. La machine l’Etat, souvent aveugle aux humains dont elle s’occupe, dans toute sa splendeur. Patronymes changés à l’arrache, fratries séparées, accumulation de sigles pour désigner les enfants selon leur situation familiale… La Préf’ gérait des dossiers, pas des gens.

Avec sa BD, Téhem en parle, justement, des gens. Faut en parler, des gens.

Loïc Chaux

 

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