Puisqu’on a plusieurs jours pour apprendre des choses, Le Tangue vous propose un tutoriel afin de vérifier si l’information qui vous arrive devant le nez est fiable ou non. Quitte à avoir du temps, autant s’en servir pour être un peu moins benêt quand on navigue sur Internet.
Depuis un an, Le Tangue réalise des interventions dans les collèges et les lycées de La Réunion, afin de permettre aux élèves d’acquérir des clés pour repérer les “fake news” qui circulent sur les réseaux sociaux.
Depuis le début de l’épisode du Covid-19, nous sommes tous submergés d’informations sur le sujet, bonnes ou mauvaises. Nous sommes tous susceptibles de nous faire avoir, et de partager des conneries. Il suffit pourtant d’acquérir quelques réflexes afin d’éviter la propagation des “fake news”. Voici donc un tutoriel à partir d’un exemple précis, qui a été étudié en cours avec les élèves réunionnais.
Imaginons donc que, sur votre fil Facebook, Twitter ou autre, apparaît ce post :
Premier réflexe, obligatoire, cliquer sur le post pour lire l’article qui y est associé. Ne jamais partager un post dont on n’a pas lu l’article : un titre n’est jamais une information : son but est justement d’attirer les lecteurs sur des sites Internet.
Cliquons, donc, dessus, et lisons l’article.
Après la lecture, il faut faire l’effort de résumer succintement l’article. Ici, c’est simple : un squelette humain haut de cinq mètres issu d’une civilisation inconnue a été découvert récemment en Australie par des archéologues.
Première question à se poser : cette information est-elle bizarre, étrange, extraordinaire ? Dans ce cas, oui : le plus grand humain connu mesure 2,50 m environ, un squelette mesurant le double est donc extraordinaire. De plus, cette découverte n’a pas été reprise dans des journaux “grand public”, alors qu’elle aurait dû faire la “une”. Cela ne doit pas suffire pour conclure qu’il s’agit d’une “fake news”, mais doit en tous cas commencer à allumer nos signaux d’alarme : plus une information est extraordinaire, plus elle exige des preuves plus qu’ordinaires. Un exemple, simple : si on vous dit “Ce matin, il y’a avait un tangue dans mon jardin.” A priori, cette information n’est pas extraordinaire, elle n’a rien d’exceptionnel, il n’y a pas de raison d’en douter. En revanche, si on dit : “Ce matin, dans mon jardin, j’ai trouvé un tangue de vingt-cinq kilos“, vous allez évidemment exiger des preuves. Pour les infos, c’est pareil.
Il est donc temps de vérifier cet article.
Le premier réflexe est d’être flemmard, et vérifier si d’autres n’ont pas déjà vérifié cette “information”. Il faut donc utiliser des mots-clés dans un moteur de recherche, accompagnés du mot “fake”.
Ici, la recherche Google donne plusieurs liens.
Plusieurs sites sérieux (nous définirons plus tard comment repérer un site sérieux) parlent en effet des faux squelettes géants retrouvés dans le monde, mais aucun ne vérifie notre article sur les squelettes en Australie en particulier. En revanche, on peut remarque qu’à chaque fois qu’un article sur un squelette géant est diffusé, la vérification conclut à la “fake news”. Cela doit donc renforcer notre doute face à cette information.
Dans des “fake news” souvent partagées, de nombreux médias ont développé des services de vérification. Des sites sont même uniquement consacrés à cela : hoax-net.be, hoaxbuster, etc. Ils expliquent à chaque fois leur méthode, et fournissent leurs sources afin que le lecteur puisse lui-même effectuer sa propre vérification.
Dans notre cas, notre article n’a donc pas été vérifié par d’autres. C’est donc à nous de nous y coller.
Le premier réflexe doit consister à vérifier le média qui nous a transmis cette information. Ici, il s’agit d’un blog, cristalain.over-blog. Allons donc sur la page d’accueil :
Un blog peut tout à fait donner de bonnes infos. Que nous raconte celui-là ? On nous parle d'”écriture intuitive“, de “messages invisibles“, de choses “cachées à l’humanité“, d'”immortalité“… La tonalité est clairement conspirationniste et tournée vers l’ésotérisme et les pseudo-sciences c’est-à-dire des “faits” qui ne sont pas vérifiés. De plus, le blog est entièrement anonyme, il n’y a pas d’adresse, pas de signature…
Un média sérieux, légalement, est obligé de fournir une adresse physique, et de nommer un directeur de publication.
De plus, pour fournir une information fiable, des gens ont été formés à cela : les journalistes. Cela ne garantit pas des faits toujours vérifiés, évidemment ; inversement, des gens qui ne sont pas journalistes peuvent informer sérieusement. Dans tous les cas, être face à un média où des journalistes travaillent, et dont des sources extérieures témoignent du sérieux, permettent d’avoir une idée de la qualité de l’info fournie.
Une autre preuve de la qualité d’un média, les fautes d’orthographe. Un article bourré de fautes n’a rien de rassurant, les journalistes devant se relire, et faire relire leurs collègues (OK, dans Le Tangue, il y a des fautes, mais on n’a pas de collègues).
Ces vérifications faites, il va nous falloir vérifier les sources de l’article. En général, un journaliste fournit ses sources – sauf dans le cas d’enquêtes où celles-ci demandent à rester anonymes. Un article non-sourcé a de fortes chances d’être une “fake news”. Ici, les sources sont données :
- L’Adelaïde Herald (“Le plus imposant des squelettes humains jamais exhumés a été découvert par une équipe d’archéologues […] a rapporté l’Adelaide Herald ce matin.“) ;
- Le professeur Hans Zimmer (“A reconnu Hans Zimmer, professeur d’archéologie à l’Université d’Adelaide“) ;
- John Thomas Buckler, archéologue qui a réalisé les fouilles d’une cité inconnue en 2014 (“Admet John Thomas Buckler, le chef archéologue qui a effectué les fouilles en 2014.“) ;
- Allan DeGroot, chercheur (“Explique le chercheur basé à Sydney, Allan DeGroot.“) ;
- Le site World News Daily Report, qui a été le premier à relayer l’information.
Ces vérifications-là sont les plus fastidieuses. Mais on a le temps :
- L’Adelaïde Herald : Aucun journal de ce nom n’existe. En revanche, il y a bien eu un Herald, à Adelaïde (selon Wikipedia, qui cite des sources locales), qui est paru entre 1894 et 1910. L’article nous dit : “a rapporté l’Adelaide Herald ce matin.” C’est donc impossible que l’Adelaïde Hérald ait parlé de cette information en 2015 ;
- Hans Zimmer : une recherche Google sur Hans Zimmer nous amène immédiatement vers le compositeur de musiques de films. A-t-il un homonyme archéologue ?
Dans une recherche “Hans Zimmer Archeologist”, les seules occurrences nous ramènent vers cette histoire de squelettes de cinq mètres. Ce qui sous-entend que cet archéologue, s’il existe vraiment, n’a travaillé que sur ce sujet. Sur le site de l’université d’Adélaïde, on ne trouve aucun Hans Zimmer ; cette fac n’a pas non plus de département consacré à l’archéologie ;
- John Thomas Buckler : comme pour Hans Zimmer, une recherche sur Google nous ramène toujours vers des articles sur les squelettes géants ou un Américain qui serait mort en 1918 ;
- Allan DeGroot : toujours même problème, aucune existence à l’extérieur de cette découverte ;
- Le site World News Daily Report : sur sa “une”, un monsieur qui a kidnappé soixante-dix-neuf personne pour leur enfiler une sonde anale ; un autre qui a mangé vingt-trois livreurs de pizzas, six témoins de Jéovah et deux facteurs , un pêcheur affirmant qu’il a été agressé sexuellement par des sirènes… Ah, et puis, petit détail, l’avertissement, en bas du site : “World News Daily Report assume l’entière responsabilité du caractère satirique de ses articles et du caractère fictif de leur contenu. Tous les personnages apparaissant dans les articles de ce site – même ceux basés sur de vraies personnes – sont entièrement fictifs et toute ressemblance entre eux et toute personne, vivante, morte ou mort-vivante, est purement un miracle.” L’origine de notre histoire de squelettes est donc un site satirique qui revendique d’écrire des conneries fictives.
Toutes les sources de cet article sont donc bidons. Cela devrait donc suffire pour nous permettre de conclure à la “fake news”. Mais il y a encore des éléments à vérifier : les photos.
Il faut rappeler, d’abord, qu’une photo n’est jamais une preuve. Elle peut être recadrée, modifiée, truquée, sortie de son contexte…
Ici, pour nous prouver que des archéologues ont trouvé des géants, nous avons une première photo, qui est d’ailleurs employée sur la miniature Facebook :
On y voit certes un type réaliser une fouille sur de gros os.
Une des caractéristiques des photos utilisées dans les “fake news” est de provenir d’autres sources, plus anciennes, et de les sortir de leur contexte.
C’est donc important d’essayer de retrouver la photo d’origine, et de retrouver où elle est parue, et dans quel cadre. Il existe un outil de recherche inversée qui permet de remonter le temps, justement : Tineye.
Il suffit de glisser la photo dans la barre de recherche, et de trier les résultats en cliquant sur “sort by oldest”, afin de retrouver la première fois que cette photo est parue sur Internet.
Première remarque : cette photo est apparue en novembre 2014, plus de huit mois avant juillet 2015, date de parution de notre article sur les géants. En cliquant sur “compare”, on voit que la photo a été peu modifiée. En revanche, un clic sur le lien nous renvoie vers un article du site – sérieux – The Guardian.
On voit alors qu’il s’agit d’une photo prise lors d’un chantier de fouilles en région parisienne. Les archéologues, français, ont mis au jour un… mammouth !
Pour résumer, cet article n’a aucune source fiable, a été diffusé par un site ne donnant aucun gage de sérieux, et illustré avec des photos qui n’ont rien à voir avec le sujet. C’est donc une “fake news”.
Toutes les “fake news” ne répondent pas à ces critères. Lorsqu’un article, cependant, en réunit plusieurs, il vaut mieux éviter de la partager : le doute est souvent bon conseiller.
Le Tangue est gentil : on vous a résumé ça dans un schéma moche :
Pour vous exercer, puisque vous n’avez rien d’autre à faire, une liste d’article. Certains sont des Fake news, d’autres non :
- https://soirmag.lesoir.be/233478/article/2019-06-28/retrouve-quasiment-mort-alexander-passe-un-mois-dans-la-taniere-dun-ours-en?fbclid=IwAR240yUM5736IC33xzo5QFUxeMmf5j-08TQtQ2MciC-Pi42Wj-ea-GRqnBU
- https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/indonesie-un-homme-retrouve-entier-dans-le-ventre-d-un-python-4891735
- https://www.20minutes.fr/insolite/2564395-20190715-alsace-envoient-ballon-mickey-ciel-recoivent-message-suede
- https://www.20minutes.fr/insolite/2598271-20190906-bali-serpent-deux-tetes-decouvert-villageois
- http://www.legorafi.fr/2013/06/10/fort-boyard-un-candidat-oublie-dans-la-cellule-dune-epreuve-retrouve-7-ans-plus-tard/?fbclid=IwAR2sUxKUWJZWsRbJ7667U4ENxBujrUOWRBP1lXL5DDRjvgJ_VZKJ77Jrpb8
Loïc Chaux