Collabos de gros zozos

Curieuse mélodie, que celle qui se joue à La Réunion, où la population serait responsable de tous ses maux, et les grandes entreprises, pauvres petits chats, ne feraient que suivre le mouvement. Alcoolisme, pollution, diabète, ce serait bien fait pour nos tronches ?

 

C’est une enquête dont Le Tangue n’était pas peu fier, que nous avons mise en ligne la semaine dernière. Nous y révélions comment la filiale d’un conglomérat étranger, dont l’activité était basée sur la vente de produits polluants, se débrouillait pour verdir son image à coups de com’. S’attaquer aux grosses entreprises réunionnaises, on n’est pas si nombreux à le faire, dans les médias pays : nous, c’est notre passion (vous pouvez pianoter “Hayot“, “Holcim“, “Burger King“, “Charrette” dans le moteur de recherche, si vous êtes un peu taquins, comme nous). “Vous, vous aimez pas les patrons“, nous a d’ailleurs dit, y a pas si longtemps, un grand chef d’entreprise réunionnais. Ce qui est vrai, surtout parce que Le Tangue n’aime personne.

Bref : la semaine dernière, suite à la parution de notre papier, on était un peu comme Dewey :

 

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C’est, en effet, avec un grand étonnement que nous avons jeté un coup d’oeil aux commentaires sous notre post Facebook annonçant la parution de notre travail. Outre les classiques trolls anti-écolos qui, à la longue, nous font plutôt rigoler (d’autant que nous avons de gros soupçons sur l’identité de l’un d’eux, qui pourrait bien être très connu, on y reviendra peut-être un des ces quatre), ce sont plutôt les autres remarques qui nous ont fait tiquer. Qu’on pourrait résumer ainsi : “Oui, mais les Réunionnais ils ont qu’à pas jeter leurs bouteilles en plastique dans la nature“. Il s’agit donc d’absoudre les péchés d’une société pour les reporter sur nous, gros cons que nous sommes. Et ce n’est vraiment pas la première fois qu’on lit pareilles choses.

Il y a peu, sur Twitter, nous nous sommes amusés à chambrer un membre du Pôle Emploi qui se réjouissait de l’ouverture d’un Burger King à Saint-Benoît et des emplois que cela allait créer. Sa réponse fut édifiante, toujours dans le même registre : 

 

 

Les Réunionnais seraient donc “libres” de manger ce qu’ils veulent ; s’ils sont diabétiques, obèses et/ou souffrent de maladies cardio-vasculaires, ce serait donc de leur faute. “L‘alcool est un outil parfois mal utilisé comme certains médicaments ou substances illégales pour fuir la réalité” disait encore, la semaine dernière dans le JIR, Jérôme Isautier, insinuant que si les Réunionnais picolaient, c’était de leur faute, ainsi que de celle de la “problématique sociale“. Le nom du site Internet très connu de la place, qui se charge de répertorier les “décharges sauvages” ? “Band cochons“. Le nombre exponentiel de voitures sur les routes ? La faute aux habitants, qui seraient très attachés à leurs bagnoles. Les politiques corrompus élus à chaque suffrage ? A cause des électeurs couillons. Ainsi, comme ces innombrables exemples tendent à le prouver, les Réunionnais seraient eux-mêmes responsables de leurs maux. C’est bien commode et méprisant, pour les petites gens que nous sommes.

C’est surtout faire le jeu de ces multinationales ou, au moins, de ces gros zozos locaux qui se frottent les mains, en constatant que certains Réunionnais eux-mêmes se chargent de les innocenter. Collaborateurs zélés d’un capitalisme cynique, ils ne se rendent sans doute même pas compte qu’ils font le jeu de leurs propres bourreaux. Car la notion de Réunionnais qui seraient “libres” de faire leurs propres choix est une vaste escroquerie, et nos lobbyistes le savent, avec leur force de frappe pour abreuver l’espace public de leur propagande. C’est bien pour cela qu’ils dépensent des millions en communication, pour rendre leurs produits cools et branchés. Pour donner une image positive de la bouteille d’eau, de la voiture individuelle, du rhum, du tender de poulet.

Le Réunionnais se retrouve coincé dans un modèle qu’il n’a pas choisi, qu’on lui impose en 4×3 ou à la télé. Le refuser est un privilège de classes sociales élevées, qui ont le temps et le bagage culturel pour s’interroger sur ces choses-là, l’argent pour trouver des alternatives. Faire ses burgers soi-même, c’est toujours plus simple quand on a vu nos parents cuisiner à la maison, qu’on a eu accès à l’information sur les valeurs nutritionnelles des produits et qu’on a un robot ménager et un four en bon état. 

Aux Etats-Unis, le lobby pro-armes utilise souvent cet argument : s’il y a des accidents, c’est à cause des personnes qui s’en servent, pas du fait que des armes soient en circulation. Exactement le même, donc, que les industriels que nous avons cités ci-dessus. Ils font croire qu’ils répondraient à un besoin, alors que le taf de leurs services marketing est bien de nous en créer, des besoins.

Au Tangue, on trouve complètement con de taper sur les comportements de nos compatriotes, victimes de pressions sociales, économiques, culturelles, organisées et défendues par des puissants qui s’en goinfrent et qui n’ont aucun intérêt, rappelons-le sans relâche, à ce que ça change. Chers lecteurs, si, au moins notre travail pouvait servir à ça : ne vous trompez pas d’adversaire.

La rédaction du Tangue

(Dire qu’il y en a qui pensent encore que Le Tangue est de droite ;))

 


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