Le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, vous trouvez pas ?
Bienvenue en 1943. La Réunion vient d’être libérée après des mois de blocus anglais, pendant lesquels il n’y avait rien à bouffer. Les Réunionnais les plus pauvres croquaient dans des racines, faisaient cuire des rats. Cette satanée île, où tout pousse, était envahie par ces foutues cannes à sucre, et une guerre mondiale n’a pas suffi à les arracher pour y planter des patates.
Mai 2020, sortie de deux mois de confinement. Le Tangue a fait comme les autres, en mars, il a eu du mal à trouver des oignons, de l’ail, des tomates, et quand il parvenait à mettre la main dessus, ils étaient hors de prix. Le Tangue, il est pas con, il a pensé comme tout le monde : mais nom de nom, on ne va pas finir par faire pousser des trucs qui se mangent, dans ce pays ? Ah, c’est sûr : les élus, la Chambre d’agriculture, tout un tas d’associations y ont pensé. Ils n’ont eu que les concepts de “production locale“, de “circuits courts” à la bouche. Mais attention, faudrait pas s’engueuler avec la toute-puissante canne : personne, absolument personne, n’a remis en cause cette sacro-sainte pompe à subvention, qui profite à une entreprise, Tereos. Mais on va les faire pousser où, nos p’tits choux ? La pression immobilière grandit, les terrains disponibles sont de moins en moins nombreux. Alors, on va arracher de la canne ? Oh, ça n’a pas l’air d’être le projet : en ce moment, il s’agit plutôt d’aider les planteurs à traverser la crise économique, au lieu de les aider à faire autre chose. Comme en quarante-trois, en fait.
C’était mignon, franchement, tous ces gens, dans la télé, dans nos entourages, sur les réseaux, qui espéraient que le confinement de deux mois auquel nous avons dû faire face allait changer quelque chose à nos vies. À nos niveaux, peut-être, après tout : maintenant, on sait faire du pain. Mais ailleurs…
Le tourisme, tiens, parlons-en. C’est un des piliers de l’économie réunionnaise. Ça pollue, ça enlaidit les paysages et, surtout, c’est très fragile. Il n’aura suffi que de deux mois pour mettre tout un tas de boîtes du secteur dans la panade. Si on était un peu malins, on se dirait : “Bon, une partie de notre économie est vraiment fragile, elle est tributaire de trop d’aléas. Faut qu’on fasse autrement.” Ben non : on va “aider le tourisme“, c’est-à-dire lui filer des sous, pour qu’il recommence comme avant. Et de nouveau, des centaines d’entreprises se casseront la gueule à la prochaine crise pétrolière, attaque de requins, événement climatique ou épidémie. Faut bien faire tourner la machine économique, ma bonne dame. Nous, quand on a vu qu’on était nuls en maths à dix-huit ans, on est pas allés s’inscrire en école d’ingénieurs. Les pouvoirs publics réunionnais, eux, c’est tout juste s’ils tentent pas le concours à Polytechnique…
Travail et pub gratos
Et pour tourner, ça va tourner. Tout le monde s’y met. Les couturières sont invitées à bosser gratos pour faire des masques ; on serait prêts à parier que le droit du travail va être “assoupli” ces mois prochains. Et qu’en 2021, le nombre de “très riches” à La Réunion n’aura pas diminué.
La dernière en date, c’est le JIR, Antenne Réunion et Réunion 1ère qui nous la sortent, en se mettant même à filer des pubs gratos dans leurs médias. Vous vouliez un monde un peu moins moche, une presse un peu plus libre, moins de pubs au moindre endroit où vous posez un œil ? Dans l’os, les amis ! Burger King, Orange, La Région, Carrefour ressortent leurs grandes campagnes de com’ ! Promo sur les packs de Coca ! Et puis faut sauver Air Austral, hein, faut rouvrir l’aéroport ! Et les bagnoles, hein, faut vendre des bagnoles ! Plein ! On va même les aider à en vendre, parce que le secteur automobile, vous comprenez, c’est important.
Contre tout ça, Le Tangue n’a absolument rien à proposer. On est des cons grincheux, et c’est de toutes façons pas notre boulot. Tout ça nous arrange pas mal, en fait : plus les mecs, là-haut, font n’importe quoi, et plus on a des abonnés. On en a bien gratté quelques uns, pendant le confinement. Que ça continue comme ça, et on pourrait bien finir par se payer.
La rédaction du Tangue
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