Petits arrangements avec la vérité…

Comme nous l’avons vu dans les épisodes précédents, Requins à La Réunion, une tragédie moderne, a tendance à affirmer sans sourcer, et à dénigrer les opposants aux thèses de l’auteur. Mais Le Tangue n’aurait certainement rien écrit sur le sujet s’il n’avait pas, en plus, remarqué une incompréhension totale des études citées, quitte même à leur faire dire n’importe quoi.

 

Il y a toujours des lecteurs pour tirer profit des écrits à leur compte.” Parce que, depuis que nous avons commencé notre série, nous avons une confiance toute relative dans la rigueur de l’auteur du livre, nous avons essayé de récupérer un maximum d’études citées dans ses pages auprès de leurs auteurs, et de vérifier les propos qui leur étaient prêtés, dans Requins à La Réunion, une tragédie moderne. La citation de ce début d’article vient de l’un d’eux. Mais après d’autres vérifications, il y en a d’autres, qui se sont montrés surpris de la manière dont leur travail avait été utilisé, mais qui ont préféré ne pas être cités ici.

Pour résumer la thèse de l’auteur du livre, pêcher des requins est la meilleure solution pour prévenir le risque, notamment par le biais de drumlines. Pour cela, et mise à part son intime conviction, il s’appuie sur beaucoup d’empirisme, et sur deux études : Proposition pour la mise en place d’un programme contribuant à la gestion du risque requin dans le cadre de l’aménagement d’une aire de baignade dans la baie de Saint-Paul, par l’Ifremer en 1997 et Études préliminaires à la mise en place d’un dispositif de réduction du risque requin sur la commune de Saint-Pierre secteur Pointe du Diable, par Gaëtan Larceteau, ingénieur chargé des risques à Saint-Pierre.

Ces deux études se ressemblent beaucoup ; la seconde, d’ailleurs, est très fortement inspirée de la première, comme elle le précise elle-même. En s’appuyant toutes deux sur les expériences, plus anciennes, de Hawaï et du Queensland, en Australie. Apparemment, les drumlines auraient permis – associées aux filets – de diminuer le risque là-bas. Quand bien-même : il y a lieu de prendre ces deux études de 1997 et 2007 avec des pincettes.

 

 

En premier lieu, car… elles datent : à l’époque, et personne ne le contredira, on ne savait encore pas grand chose des requins à La Réunion (on n’en sait d’ailleurs toujours pas beaucoup plus). Ensuite car elles visaient des endroits précis : la baie de Saint-Paul, le littoral saint-pierrois. Et en effet, l’étude de 1997 considère : “Cette technique (la drumline, NdT) est la mieux adaptée au projet. La pose et l’entretien sont simples et relativement peu onéreux. Elle capture uniquement les requins (ce qui est d’ailleurs faux, NdT).” Mais n’ayant que ces deux études sous la main – une seule, en fait, puisque la seconde recopie la première, et que les deux ne font que reprendre de vieux résultats australiens et américains – l’auteur oublie de donner quelques précisions.

D’abord que, depuis le temps, la drumline a montré ses limites, au point qu’en Australie, on commence à s’en éloigner. Ensuite que ce qui peut être vrai à Saint-Paul ou à Saint-Pierre n’est peut-être pas reproductible ailleurs. Et enfin que le programme CHARC lui-même parle de l’éventuelle utilité de drumlines à Saint-Paul : “La suppression de l’activité aquacole, des poissons d’élevage en avril puis des cages en septembre 2013, n’a eu aucun effet sur le taux de fréquentation de ces requins dans la baie, pas plus que l’expérience de pêche par “drumline” initiée en janvier 2013.” Plus drôle encore, et alors que l’auteur ne cesse de se désoler de la lenteur de la science, les deux études qu’il cite annoncent expressément que la mise en place d’éventuelles drumlines ne pourrait se faire avant… deux ans d’études scientifiques, justement !

 

Un mémoire à la rescousse

 

Nous ne cherchons pas, ici, à dire quelle étude a raison plus qu’une autre : mais il faut bien avouer qu’à passer son temps à radoter avec ses vieilles études, l’auteur semble avoir oublié d’y porter un œil critique… et d’informer ses lecteurs de leurs limites.

Mais il y a encore plus grave. Ayant bien peu d’études biologiques à se mettre sous la main, l’auteur se rabat sur des études en sciences humaines. Il cite notamment une étudiante en anthropologie : “Comme l’avait mentionné une étudiante en anthropologie dans une approche sociale de cette crise : “la science est tenue pour vraie. La décisions politiques ne peuvent se baser en France que sur les données scientifiques.”” C’est un nouveau mensonge. Il est vrai que ce mémoire n’a pas été facile à retrouver, mais nous sommes malins, au Tangue. Et la véritable citation, la voici : “Il existe un lien entre les politiques et les scientifiques. Ces derniers (l’IRD) sont missionnés par l’État et le Conseil Régional de la Réunion, pour réaliser l’étude du risque requin. Ils ont donc une place légitime dans la gestion du risque. De plus, ils sont légitimés par leur statut, puisque la science est “tenue pour vraie”, ils n’ont pas besoin de justifier leur discours devant les politiques. En outre, les politiques détiennent le pouvoir de décision et ils sont responsables de la mise en place concrète de la gestion du risque (moyens matériels, financiers…)” Ce qui est un simple constat dans un mémoire d’anthropologie devient, après transformation de l’auteur, un moyen d’appuyer son argumentaire. Sachant, de plus, que la valeur scientifique d’un mémoire est tout relatif.

 

Celui qui faisait mentir les études

 

Et il y a le pompon : on vous le gardait pour la fin. Dans le livre, nous trouvons ceci : “Un mois plus tôt, était sortie une nouvelle étude réalisée localement cette fois-ci par un géographe qui m’avait sollicité dans ce cadre. Je me trouvais ainsi cité dans cette publication scientifique, ce qui constituait une forme de reconnaissance supplémentaire de la cause que nous défendions. Cette analyse mettait en avant une corrélation évidente entre la mise en réserve marine en 2007 de la zone balnéaire, et la survenance de nombreuses attaques dans ce secteur épargné jusqu’alors.

Là encore, nous avons trouvé la publication citée (et là encore, sa lecture est d’un intérêt certain, afin de comprendre comment travaillent les chercheurs). Elle est parue dans EchoGéo, une revue scientifique consacrée à la géographie. Nous avons donc cherché la “corrélation évidente entre la mise en réserve marine en 2007 de la zone balnéaire, et la survenance de nombreuses attaques dans ce secteur épargné jusqu’alors.” Et nous ne l’avons pas trouvée, pour cause (p. 8) : “Peut-on pour autant, lier directement l’augmentation moyenne des attaques dans la RNMR au fait que cette aire protégée soit devenue poissonneuse au point d’attirer les requins ? Selon les conclusions d’une étude récente (Bigot et alii, 2014), il apparaît que “la biomasse en poissons des récifs de La Réunion reste encore faible, très loin de pouvoir déjà traduire de manière objective et avérée un “effet réserve significatif” (illustration 7). Par ailleurs, la RNMR accueille à elle seule environ 80 % des utilisateurs du littoral de La Réunion et des pratiquants de sports côtiers (Rard ; Menou, 2011). Cette forte concentration des pratiquants fournit déjà une bonne explication aux 19 attaques sur 46 recensées depuis 1980. Par ailleurs, si nous revenons à la série de données de 1980 à 2014 (illustration 2), on peut noter qu’il y a déjà eu des “séries noires” d’attaques de requins ces dernières décennies à La Réunion. Par exemple, entre le 22 mai 1992 et le 11 avril 1999, soit en moins de 7 ans, on dénombre 12 attaques dont 10 mortelles réparties aux quatre coins de l’île.” Vous avez bien lu : l’étude en question dit exactement l’inverse de ce qu’affirme l’auteur. 

 

En parlant de l’éventuel lien entre la Réserve et les attaques, voici un graphique expliquant celui entre le nombre de noyés dans les piscines et celui de films avec Nicolas Cage, par an. Où comment comprendre la différence entre causalité et corrélation. (source)

 

Pour conclure, cette série d’articles sur Requins à La Réunion, une tragédie moderne, n’a pas pour but l’exhaustivité. Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment sur la victimisation permanente dont l’auteur fait preuve, sur sa posture “apolitique” alors que quelques uns de ses acolytes ont été élus sur des listes de droite en 2014, que lui-même s’y est mis récemment. Mais il nous semble, au Tangue, que nous avons déjà assez passé de temps sur le sujet, et que, au vu des critiques dithyrambiques du livre diffusées sur les réseaux sociaux ou dans les médias depuis 2015, il était utile d’apporter une critique ; ce que, apparemment, aucun média n’avait encore fait.

Loïc Chaux

 


NB : On nous a reproché d’avoir été opportunistes, et d’avoir sorti cette série d’articles pour nuire à son auteur, qui est en ce moment-même en pleine campagne dans la législative partielle de la 7e circonscription. Même si cela n’enlève absolument rien au fond de ce que nous écrivons, nous tenons à préciser que c’est faux : comme le montre la capture d’écran ci-dessous, le livre a été acheté le 31 mai, avant que Thierry Robert soit déclaré inéligible, avant, donc, que les élections soient annoncées. C’est toujours ennuyeux, d’avoir à se justifier face aux paranos…

 

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